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Pitié pour les Portiques, Roland Egensperger

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Pitié pour les Portiques, Roland Egensperger Empty Pitié pour les Portiques, Roland Egensperger

Message  André Mar 19 Nov - 18:27

Pitié pour les portiques,Roland Egensperger

Les portiques dont parle lʼactualité récente ont-ils été conçus et reçus comme des substituts dʼarcs de triomphe ou comme des fourches caudines?  Évidemment, les stoïciens nʼavaient pas envisagé que leur Portique soit équipé de caméras dont la fonction est de photographier les plaques dʼimmatriculation des camions. 

Lʼunivers est le lieu de parcours du camion stoïcien. 
Pauvres stoïciens, voici leurs Portiques (stoa= Portique), attaqués, incendiés et détruit par des éleveurs de pourceaux (dʼEpicure?)(]1), ces mêmes cochons dont le lisier revêtent les champs et produisent des algues vertes.  Les “épicuriens” sont sortis de leurs jardins, avec pelles et pioches, tracteurs et camions, pour mener une moderne jacquerie.  Ces portiques honnis sont devenus comme des portes de lʼenfer.
1. Lʼexpression “pourceaux dʼEpicure” est une accusation sans fondement et ne correspond en rien à la morale épicurienne.  Cf. Jünger (Ernst),

"Les pourceaux d'Epicure", comme on disait jadis, ne risquent guère de faire irruption dans les plantations de pavot et de chanvre. L'Epicurien n'est pas porté à l'excès, qui mettrait son plaisir en péril.”

Approches, drogues et ivresses, Gallimard Idées, 1970, 1973,

Lʼhistoire témoigne de lʼimportance du portique.
Le portique nʼest quʼun passage et un lieu de lʼéternel retour.  Cʼest le feu qui préside à ce cycle.  Nos bonnets rouges ont-ils été touchés par la foudre de Zeus? 

Borges

“Dans la cosmogonie des Stoïciens “Zeus se nourrit du monde.” Lʼunivers est consumé périodiquement par le feu qui lʼa engendré et il renaît de ses cendres pour revivre la même histoire. A nouveau, les diverses particules séminales se combinent, à nouveau, elles prêtent forme aux pierres, aux arbres et aux hommes - et même aux vertus et aux jours, puisquʼil nʼexiste pas pour les Grecs de substantif sans quelque substance. À nouveau, chaque épée et chaque héros, à nouveau chaque minutieuse nuit dʼinsomnie.
Comme les autres conjectures de lʼÉcole du Portique, celle de lʼuniverselle répétition passe les siècles et son nom technique - apokatastasis - se retrouve dans les Évangiles”. (Actes des Apôtres, III, 21)"


Borges (Jorge Luis), Histoire de l'Infamie, histoire de l'éternité, Caillois

Et Nietzsche prolonge, dans son Zarathoustra, ce thème de lʼéternel retour. Dans ce dialogue entre Zarathoustra et le nain, le portique est le lieu-même de la contradiction:

«Arrête-toi ! nain ! dis-je. Moi ou bien toi! Mais moi je suis le plus fort de nous deux:
— tu ne connais pas ma pensée la plus profonde! Celle-là, tu ne saurais la porter ! »-
Alors arriva ce qui me rendit plus léger: le nain sauta de mes épaules, l'indiscret ! Il s'accroupit sur une pierre devant moi. Mais à l'endroit où nous nous arrêtions se trouvait comme par hasard un portique.
«Vois ce portique, nain ! repris-je: il a deux visages. Deux chemins se réunissent ici: personne encore ne les a suivis jusqu'au bout. Cette longue rue qui descend, cette rue se prolonge durant une éternité et cette longue rue qui monte - c'est une autre éternité. Ces chemins se contredisent, ils se butent l'un contre l'autre:— et c'est ici, à ce portique, qu'ils se rencontrent.”


Nietzsche (Friedrich), Ainsi parlait Zarathoustra, III, 2, Bouquins Laffont, T . II, p. 405 sqq

Nʼempêche! il se passait de drôle de choses sous les portiques anciens. Lʼhistoire en témoigne. Voici ce que rapporte Peter Sloterdijk, dans un de ses premiers livres.  Nʼy a-t-il pas déjà là une allusion aux porcheries actuelles et à leur lisier? 

«Ernst Jünger notait dans son Journal parisien sur la lecture dʼun passage de la Guerre des Juifs de lʼhistorien Flavius Josèphe:
“Je suis à nouveau tombé sur le passage décrivant le début de lʼagitation à Jérusalem, sous Cumanus.  Tandis que les Juifs se rassemblaient pour la fête des pains sans levain, les Romains placèrent au-dessus du portique du temple une cohorte pour observer la foule. Lʼun des soldats souleva son manteau et, tournant avec une révérence ironique son postérieur vers les Juifs, «émit un son indécent correspondant à sa position». Ce fut lʼoccasion dʼun conflit qui coûta la vie à dix mille hommes, si bien quʼon peut parler du pet le plus funeste de lʼhistoire universelle”

(Second Journal parisien, trad. F. de Towarnicki et H. Plard, Christian Bourgois éditeur, 1980, p. 209).

Le cynisme du soldat romain, qui, en provocateur politique et en “blasphémateur” pétait dans le temple trouve son pendant dans le commentaire de Jünger qui fait la transition vers le domaine du cynisme théorique.» 
Sloterdijk (Peter), Critique de la raison cynique, Suhrkamp Verlag, 1983, traduction de l'allemand par Hildenbrand (Hans), Christian Bourgois, 1987, Seconde partie. Le cynisme dans le processus du monde, 179/ I. Partie physionomique, 181, A. Sur la psychosomatique de lʼesprit du temps, 183 / 9., p.196

Dans un air plus éthéré, cʼest Paul Valéry qui propose une médiation, sinon une solution, quoique, dans son dialogue avec Socrate, le propos de Phèdre sʼachève sur la sottise des messages véhiculés par les médias. Voici les portiques parasités par les éponges:

Socrate: Mais tu me peins un poulpe!
Phèdre: Mais un poulpe qui interroge les eaux peuplées, choisit, bondit, brandissant ses fouets dans lʼépaisseur de lʼonde, et qui vertigineusement sʼempare de ce qui lui convient, nʼest-il pas un vivant cent fois plus vivant que lʼimmobile éponge?  Combien dʻéponges
nous avons connues, collées à jamais sous un portique dʼAthènes, absorbant et restituant sans efforts toutes les opinions fluctuantes autour dʻelles; éponges de paroles baignées, imbues, indifféremment de Socrate, dʼAnaxagore, de Mélittos, du dernier qui a parlé! …
Les éponges et les sots ont ceci de commun quʼils adhèrent, ô Socrate …


Valéry (Paul), Œuvres 2 , Gallimard La Pléiade, 1960, p. 134, Eupalinos

Sauvegardons les portiques  ! Réclamons un moratoire pour que ces lieux redeviennent des endroits où règne la tranquillité.  Cʼest au pied des portiques que les poètes avaient trouvé comme “un pays natal”.

Pauvre Charles Baudelaire regrettant les temps anciens où lʼon pouvait dire:

Jʼai longtemps habité sous de vastes portiques

[...]

Cʼest là que jʼai vécu dans les voluptés calmes”,

Les Fleurs du mal, “La Vie antérieure (premier quatrain)

Et Gérard de Nerval, lui aussi, rappelle la douce quiétude de ces abris habités par des dieux sereins.  Laissons la sybille, dans son somme, interroger la parole des dieux:

Cependant la sibylle au visage latin
Est endormie encor sous lʼarc de Constantin
Et rien nʼa dérangé le sévère portique
.”

Nerval, Les Chimères, Delfica (dernier tercet).

À défaut de portique, je nʼai quʼun parapluie

Lundi 18 novembre 2013

Roland Egensperger

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