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Le Diable au Corps, de Raymond Radiguet

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Le Diable au Corps, de Raymond Radiguet Empty Le Diable au Corps, de Raymond Radiguet

Message  André Jeu 4 Avr - 11:53

Roman scandaleux... jadis

L'époque de publication :

Ce roman fit scandale lors de sa parution en 1923, c'est-à-dire dans une époque encore corsetée, prude en apparence mais dévergondée en cachette, où le bourgeois ne voyait pas malice à engrosser sa domestique avant de la jeter au ruisseau pour s'épargner désagréments et commentaires goguenards à défaut d'opprobre. En nos jours de licence généralisée, l'histoire paraîtrait sans doute banale et n'aurait de succès qu'auprès des amateurs de belle écriture. Mais au moment de sa parution, le monde sortait de quatre années d'épouvante; les survivants des tranchées traînaient leurs infirmités, quand ils ne les brandissaient pas comme des reproches aux embusqués qui ne montèrent jamais au front. Il en résulte un état d'esprit hargneux, peu enclin à la fantaisie chez les poilus et leurs proches
Cependant, une autre partie de la population, voulant tourner la page des temps d'effroi, se jetait à corps perdu dans ce qu'on appellera plus tard les Années Folles. Au diable les misères, la morale et la tristesse! Elle fit donc un triomphe à l'audacieux roman de Radiguet, ce qui ulcérait l'autre partie recroquevillée sur ses misères : il s'en vendit 100.000 en trois mois!
Quel auteur aujourd'hui ne rêverait d'un tel engouement pour sa prose?

L'histoire :

C'est l'histoire d'une rencontre fortuite entre le narrateur adolescent et de Marthe, plus âgée, fiancée à Jacques, mobilisé sur le front de la guerre 14-18. Le garçon s'éprend avec la fougue de son inexpérience, Marthe répond pareillement, une liaison s'établit, les sens vont s'exprimer au diapason des sentiments.
Cependant, Jacques revient des tranchées pour épouser Marthe puis repart à la guerre laissant son épouse consentante à la passion de l'amant. Celui-ci se montre possessif, lunatique, tour à tour tendre et tyrannique, perdu dans une aventure d'homme trop grande pour son jeune âge. Et voici qu'on atteint le comble quand Marthe attend un enfant, alors que Jacques ne saurait en être le père.
Tout est en place, le drame peut être consommé.

Où serait donc le scandale de cette histoire?
Dans le climat particulier d'après-guerre, ce n'est pas tant les 15 ans du narrateur qui heurtèrent que la conduite de Marthe en dépit de son état conjugal : elle se donnait du bon temps tandis que son mari défendait la patrie. Autant dire qu'il s'agissait de l'abjection absolue

Le style :

Le style est éblouissant. Pour preuve, voici quelques extraits à déguster sans modération

Page 11, premier chapitre, premier paragraphe :
Je vais encourir bien des reproches. Mais qu'y puis-je? Est-ce ma faute si j'ai eu douze ans quelques mois avant la déclaration de la guerre? Sans doute, les troubles qui me vinrent de cette période extraordinaire furent d'une sorte qu'on n'éprouve jamais à cet âge[...]C'est en enfant que je devais me conduire dans une aventure où déjà un homme eût éprouvé de l'embarras [...] Que ceux déjà qui m'en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances.

Page 77 :
Ce futur conseiller vous promettait monts et merveilles et n'attendait même pas d'être élu pour manquer à ses promesses.

Page 79 :
Si la jeunesse est niaise, c'est faute d'avoir été paresseuse. Ce qui infirme nos systèmes d'éducation, c'est qu'ils s'adressent aux médiocres, à cause du nombre. Pour un esprit en marche, la paresse n'existe pas. Je n'ai jamais autant appris que dans ces longues journées qui, pour un témoin, eussent semblé vides, et où j'observais mon coeur novice comme un parvenu observe ses gestes à table.

Page 99 :
Je souhaitais d'être vite assez fort pour me passer d'amour et, ainsi, n'avoir à sacrifier aucun de mes désirs. J'ignorais que servitude pour servitude, il vaut mieux encore être asservi par son coeur que l'esclave de ses sens.

Page 121 :
Le malheur ne s'admet point. Seul le bonheur semble dû [...] Le plancher chavirait. Je n'avais pas le pied marin pour la souffrance. Du reste, je ne crois pouvoir comparer mieux qu'au mal de mer ces vertiges du coeur et de l'âme. La vie sans Marthe, c'était une longue traversée. Arriverais-je?

L'auteur :

Raymond Radiguet est le fils du dessinateur de presse satirique Maurice Radiguet. Né en 1903, il aura une vie brève, qui s'achèvera à vingt ans, l'année même de la publication de son roman partiellement autobiographique. En effet, ce garçon précoce, plus intéressé par les livres que par les études, quittera le lycée Charlemagne de Paris à 15 ans. C'est qu'il vient de rencontrer, un an plus tôt, Alice, une voisine de ses parents à Saint Maur, fraîchement mariée à un soldat qui est au front. Quand on vit une telle liaison amoureuse à quatorze ans, on ne se sent plus beaucoup d'affinités avec les garçons de son âge, et il semble naturel de quitter leur proximité.
Il se lance alors dans le journalisme et rencontre les brillants esprits de son temps : Darius Milhaud, avec qui il créera Le Boeuf sur le Toit, Juan Gris, Picasso, Modigliani, et Max Jacob. Ce dernier le présentera à Jean Cocteau, qui deviendra son Pygmalion durant les trois dernières années de sa vie.
Radiguet aura encore le temps d'écrire Le Bal du comte d'Orgel, corrigé et préfacé par Cocteau, qui le fera paraître en 1924. Cet ouvrage sur le triangle amoureux est également considéré comme un chef d'oeuvre.

Face à la brièveté de cette vie féconde, on ne peut s'empêcher de penser à Arthur Rimbaud, qui, à vingt ans aura donné toute son oeuvre poétique, ou à Évariste Galois, ce mathématicien brillant qui élabora la résolubilité des équations par radicaux à 17 ans et mourut en duel à vingt, en laissant ce qu'on appelle aujourd'hui la théorie Gallois

En conclusion :

Ce tout petit livre de 130 pages n'a pas besoin de s'étendre en chapitres pléthoriques pour être un monument de la littérature française. Tout d'abord, on est confondu par la beauté de l'écriture. Les phrases sont ciselées par un orfèvre, les mots justes sont utilisés à bon escient, ce qui rend inutile un développement laborieux; tout est précis et concis. Ensuite, on est captivé par l'histoire si simple et pourtant pas banale. En somme, c'est un régal pour qui aime autant la belle écriture que l'intrigue cohérente.
Et je ne résiste à terminer par la synthèse du roman placée en quatrième de couverture :
"Écrit à l'âge de dix sept ans, ce livre [...] contient tous les thèmes majeurs de la littérature tels que l'adolescence, la trahison, le scandale, la parentalité, l'adultère, les doutes amoureux"

Traiter tant de sujets en si peu de pages, il y faut un grand talent, voire du génie.
À redécouvrir, ou à découvrir

Le Diable au Corps, Raymond Radiguet
Paru en 1923
131 pages
Éditions Lire Délivre, 3€

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