Une année en Provence, de Peter Mayle

Chronique savoureuse

J'ai relu cet ouvrage pour la troisème fois depuis sa parution française en 1995, et je le referme encore aujoiurd'hui avec ce contentement qui va persister longtemps dans mon esprit comme s'attarde en arrière-bouche le bouquet de quelque vin de prestige.

C'est que l'auteur, Peter Mayle, cadre publicitaire anglais oeuvrant tant à Londres qu'à New york, dispose d'une plume joyeuse au service d'un regard aigu qui sait débusquer le singulier d'une situation apparemment banale, ou le cocasse d'une habitude que nous ne savons plus voir comme telle.

Peter Mayle et sa femme connaissaient la Provence, son soleil et sa bonne chère pour y être venus l'été à plusieurs reprises; de retour à Londres, ils ne cessaient toute l'année de penser à cette parenthèse éblouie dans leur quotidien pluvieux et froid, plein de brumes perfides et de nourritures fades hors de prix. C'était comme un phare leur permettant de traverser une existence en berne et d'atteindre enfin, l'été revenu, le temps du bonheur.
Quand ils en eurent assez d'alterner soleil fugace et brouillard perpétuel, ils acquirent une maison dans le Lubéron, à Menerbes, et vinrent s'y installer avec leurs deux chiens. C'est alors qu'ils rencontrèrent une Provence quelque peu différente de la contrée estivale qu'ils connaissaient. L'hiver, le mistral est rude; la neige peut tomber et paralyser le pays. La maison de pierre est glaciale, la mauvaise plomberie éclate : il faut faire appel à la main d'oeuvre locale qui a un rapport au temps d'une rigueur extrêmement élastique. Il faut fréquenter l'administration française pour l'achat de la maison, certes, mais aussi pour un simple véhicule ce qui s'avère très vite insensé.

Peter et sa femme acquerront finalement une 2CV, la seule automobile au monde capable de donner le mal de mer, et partiront à la découverte du Lubéron. Ils nous livreront alors une ribambelle de drôleries, de mises en lumière de nos travers nationaux et de dénonciations des arrogances anglaises. À la manière d'un Guide du Routard superbement écrit, nous suivrons les Mayle à la recherche des meilleurs restaurants, des caves à vins, des pressoirs à huile d'olive, des fromagers, des boulangeries, des marchés du dimanche. Nous assisterons à la cueillete des cerises, au ramassage des champignons, aux vendanges, aux courses de chèvres et à la crèche vivante de Noël. Nous entendrons les boules de pétanques qui s'entrechoquent, la mauvaise foi des propos et la tricherie sans lesquelles il est inutile de jouer; nous entendrons encore les cigales, mais aussi les silences bourdonnants d'abeilles dans les lavandes. Et par dessus tout cela, l'odeur du pastis, des terrines, des tapenades et autres aïolis.

Il découle de ce livre divisé en douze chapitres, un pour chaque mois de l'année qui nous montre une Provence non figée dans le poncif, un amour immodéré pour le paysage, le climat, les hommes et leur culture particulière finement analysée à travers les bonheurs de la table, la gestuelle et la signification cachées des propos.

Drôle, ironique, voire caustique mais sans méchanceté, parfois désopilant, ce livre est un régal.
Certains le compare au très excellent livre de Philippe Demlerm, La première gorgée de bière et autres menus plaisirs. C'est assez pertinent, même si l'humour et les saillies pleines d'indulgnece de Mayle n'appartiennent qu'à lui. Mais l'un et l'autre expriment le contentement de vivre et la satisfaction des plaisirs simples que l'on trouve en bien des choses et des circonstance pour peu que l'on y regarde de près.

Traduit en 17 langues, ce livre a été, et reste, un succès de librairie qui a apporté fortune et renommée à son auteur. À un point tel que les autobus charriant leur cargaison de touristes dans le Lubéron faisaient un détour obligatoire par Menerbes pour approcher la maison de Peter Mayle qui trouva des indélicats jusque dans sa cuisine ou son séjour, avec un livre à la main à dédicacer. Peter Mayle a dû vendre et déménager ; le nouveau propriètaire s'est vu contraint quant à lui de placarder un avis sur le portail de la maison comme quoi Mister Mayle n'habitait plus ici.
Cependant, exilé de la Provence dont il est amoureux, Peter Mayle revint discrètement avec son épouse et leurs chiens; il acheta une autre propriété pour y vivre à l'ari des fâcheux, avec le désir de rester dans ce pays jusquà son dernier souffle, et même après puisque je l'ai entendu confier à la télévision qu'il voulait être inhumé ici, après bien des péripéties gastronomiques.

À lire pour se réchauffer l'âme lorsque le temps est renfrogné, ou, lorsqu'on sillonne le Lubéron, pour y découvrir des bonnes adresses et des sensations qui nous auraient échappées.
Collection Point N°P252, 263 pages

André


Notes :
Est-ce pour compléter sa chronique ou pour céder aux demandes de son éditeur qui flarait le bon filon, toujours est-il que d'autres ouvrages suivront : Provence toujours (1995, Point, N° P367, 222 pages) Une vie de chien (1997, Point, N° P608, 188 pages). Je dois avouer qu'ils m'ont moins enthousiasmé que le premier, peut-être parce qu'ils avaient un goût de déjà-vu. La saveur de la première fois et son charme singulier m'ont paru affaiblis. Mais ne manquez pas Une année en Provence, qui est succulent.

Pour les inconditionnels il y aura encore Hotel pastis(1996), La Provence à vol d'oiseau (1998), Encore Provence (1999), Le Bonheur en Provence (2000) ainsi que Un bon cru (2006) qui sera adapté à l'écran par Ridley Scott sous le titre de Une grande année avec Russel Crowe et Marion Cotillard.